Conférence-Débat à l’Université Protestante de Lubumbashi : Vers une Justice Transitionnelle en République Démocratique du Congo
Le 25 avril 2024, l’Université Protestante de Lubumbashi a été le théâtre d’une discussion captivante sur la « Justice Transitionnelle dans une Approche Comparative : État de Lieu Actuel ». Organisée par la Faculté de droit de l’université, la conférence. Organisée par la Faculté de droit de l’université et modérée par le Doyen de cette faculté, le Professeur Junior Mumbala Abelungu, la conférence a attiré un public attentif, désireux de comprendre les nuances de la justice au-delà du paradigme traditionnel.
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Le Professeur Pierre Félix Kandolo, intervenant, a ouvert le débat en explorant la notion de justice restauratrice ou réparatrice. Soulignant son émergence au cours du 20e siècle en réponse aux lacunes de la justice classique, il a mis en lumière son potentiel pour rétablir l’équilibre et reconnaître les torts subis par les victimes.
Nombreux pensent que la seule justice qui existe dans le règlement des conflits opposant les parties dans la société c’est la « justice classique » constituée des cours, tribunaux et parquets. Cette conception séculière n’est plus dominante à nos jours. En effet, à côté de la justice ordinaire, il existe deux autres sortes de justice, capables de résoudre les problèmes qui se posent dans les sociétés. Il s’agit de la justice réparatrice, restauratrice, restaurative ou justice transformatrice (celle qui est venue combattre les méfaits et faiblesses de la justice classique et qui existe dans de nombreux pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie) et la justice transitionnelle (qui est en vogue actuellement sur le continent africain et particulièrement au Congo).
De la justice restauratrice ou réparatrice
Appelée aussi « justice communautaire », justice « d’amende honorable », « justice positive », « justice relationnelle », « justice réparatrice » ou « justice transformative », la justice réparatrice existe depuis la première moitié du 20è siècle, à travers les réflexions de certains penseurs comme Howard Zher, Van Ness, Strong, etc. Elle est présentée par ses précurseurs comme « un processus destiné à impliquer, autant qu’il est possible, ceux qui sont touchés par une infraction donnée et à identifier collectivement les torts ou dommages subis, les besoins et les obligations, afin de parvenir à une guérison et de redresser la situation autant qu’il est possible de le faire« . C’est également « une approche de la délinquance basée sur la résolution des problèmes, qui impliquent les parties elles-mêmes ainsi que la communauté dans une relation active avec les acteurs locaux« .
Au niveau international, cette justice est comprise comme « un processus par lequel les parties concernées par une infraction décident ensemble de la façon de s’occuper des suites de celle-ci et de ses répercussions futures« .
Pour les Nations unies, la justice restauratrice est « un processus dans lequel les victimes et les délinquants et, lorsqu’il y a lieu, tout autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d’une infraction participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement avec l’aide d’un facilitateur« .
Cette justice, qui existe dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique, part des reproches faites à la justice classique, particulièrement pénale, d’avoir amplifié un processus par lequel les parties directement concernées au conflit se sont vues dépouillées de leurs conflits, on les a fait disparaître pour que les conflits deviennent une propriété d’autres personnes, en l’occurrence les magistrats du parquet au nom de la société, les juges (au nom du droit et de l’État) et les avocats (les plaideurs) au nom des victimes et parfois des auteurs. Cette justice constate que dans le cadre du système de justice pénale en place, la victime est perdante, l’auteur est perdant, et la société elle-même perd des occasions de clarifier les normes.
Ainsi, par la justice réparatrice, l’on souhaite une organisation judiciaire qui serait davantage centrée sur la victime et qui accorderait le moins de place possible aux professionnels. Cette idée privilégie ainsi la justice restauratrice en lieu et place de la justice punitive, qui fait perdre à la victime son rôle et sa place dans le conflit.
Au lieu de voir une atteinte à la société, cette justice voudrait voir plutôt une atteinte à la victime individuelle ; le voleur armé n’a pas volé la société, il a volé la victime ; il n’a donc pas contracté une dette envers la société, mais bien envers la victime.
Mais qu’il s’agisse de la victime ou de l’auteur de l’acte repréhensible, tous les deux souffrent du système de justice pénale actuellement en place.
De la justice transitionnelle
La justice transitionnelle peut s’entendre comme : « un ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires mises en œuvre par différents pays afin de remédier à l’histoire de violations massives des droits humains en temps de conflits et/ou de répression de l’État. Ces mesures comprennent les poursuites pénales, les programmes de réparation, les diverses réformes institutionnelles et les Commissions de vérité« .
La réparation présente différentes formes en droit international humanitaire, dont certaines ne sont pas utilisées par la justice classique. Il s’agit de la restitution (moyen d’annuler la violation d’un droit et d’en effacer les conséquences, la victime devra retrouver sa situation telle qu’elle était avant la commission de l’acte par l’auteur) ; de l’indemnisation ou de la compensation (une forme spécifique de réparation consistant à fournir des prestations économiques ou monétaires pour certaines pertes matérielles ou immatérielles, de nature pécuniaire ou non, patrimoniales ou extra-patrimoniales) ; de la réadaptation appelée aussi « réhabilitation », (un mode de réparation qui consiste à aider les victimes à se réintégrer socialement à travers un soutien psychologique, médical, juridique ou social) ; la satisfaction (ce sont des mesures non financières pouvant contribuer aux objectifs élargis et à plus long terme de la réparation. C’est le cas de vérification des faits, recherches liées à des disparitions, etc.) ; les garanties de non-répétition (ce sont des mesures qui accordent une importance particulière aux réformes structurelles et au renforcement des institutions étatiques et ce, dans le but de prévenir la récidive des exactions du passé. Il s’agit ici de démontrer aux victimes que la réparation n’est pas une promesse vide de sens ou un simple palliatif) et, d’après une certaine doctrine, les sanctions ciblées (sont des mesures prises par les États ou les organisations internationales contre des personnes physiques auteures des crimes graves du droit international humanitaire ou des infractions flagrantes des droits de l’homme ou des responsables politiques qui entretiennent le climat politique malsain dans l’État. Elles consistent au refus d’accorder les visas, de transiger en monnaie étrangères).
Comparativement aux États comme le Canada, la justice transitionnelle n’a pas été mise en œuvre à cause d’un quelconque conflit armé mais à cause de l’histoire de violations des droits de la personne exercées sur une population autochtone par le gouvernement de l’époque. Cette mise en œuvre en dehors de tout conflit armé est une nouvelle façon de concevoir la justice transitionnelle.
Pour la RDC, toutes les tentatives pour la mise en œuvre de la justice transitionnelle ont échoué depuis 2003 et les conflits armés ne font que se répéter.
En définitive, l’orateur pense que la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle surtout dans à perpétuels conflits armés serait un pas vers le rétablissement d’une paix durable.
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